Autrice et Pro…crastinatrice

La Faute à Maurice…

Voilà des mois que l’idée de cet article me titille.

Vas-y, lance-toi !

Je me le répète chaque jour. Je me le dis, me l’encourage, me le hurle à pleins poumons, même, avec tant d’énergie et de ferveur, avant d’ajouter

un jour…

Oh, je ne suis pas dupe (pas tout à fait, du moins), j’ai déjà écrit sur le sujet (voir ici ) et je lui ai même consacré une catégorie entière sur le blog. Un « journal de résistance » qui, d’ailleurs, a l’air bien bordélique, maintenant que je vais y faire un tour…

Alors, pourquoi me suis-je encore laissée avoir ? Ce n’est pas que je n’ai pas d’idées. Allez, juste pour que ça pique bien où il faut, il y a

  • Margaux qui attend depuis si longtemps dans son Panier de Crabes qu’elle doit être couverte d’algues;
  • Zoé et Gertrude, qui pourrissent dans un Laeken plus si Rose;
  • Ophélie, abandonnée quelque part dans l’Anneau du Levant entre deux matchs de l’Union Saint-Gilloise (Nanie, j’ai bien reçu ton message…des bises !) ;

les deux petites dernières, celles dont vous n’avez jamais entendu parler :

  • Lise, coincée dans un refuge avec son Faucon Cingalais; et
  • Livia, prête à être dévorée au Buffet des Tiques dans un coin paumé de la Famenne.

Sans parler du retour d’Aubry Dabancourt

Des idées, j’en ai plein. Treize à la douzaine, deux plus une gratuite. Ma tête est comme une poêle à pop-corn chauffée à blanc : pop ! pop ! pop ! qui n’en veut !

Je ne peux pas vraiment non plus blâmer la Résistance. J’ai ré-organisé ma vie entière afin de libérer l’espace et le temps nécessaires à l’écriture; chaque jour dédié, je m’installe devant l’écran, résolue et prête à en découdre. Je lancine d’ailleurs mon motto à l’envi.

J’ai le temps, j’ai l’envie, j’ai les idées…cette fois, c’est certain, on va accomplir du beau ! En garde, messieurs de la Resistochonnade !

J’ouvre le fichier word, j’avance mes doigts vers le clavier, et

Il faudrait juste, d’abord, régler ce petit point de détail qui…

et, aussi sûr que le jour fait place à la nuit et que l’hiver s’efface devant le printemps, je me réveille huit heures plus tard, le cerveau gavé d’informations diverses et variées…et surtout inutiles. Avais-je vraiment besoin de regarder tous les opus des « retrouvailles émouvantes entre un chien et son maître » sur youtube ? la maîtrise de tous les détails techniques du travail de l’epoxy dans la création de tables basses était-elle absolument nécessaire alors qu’aucun de mes personnages n’en aura jamais besoin ?

Bref, vous l’aurez compris, mes journées de travail se soldent d’un zéro pointé et je traîne derrière moi un bagage chaque jour un peu plus lourd de culpabilité et de frustration. C’est devenu si insupportable que j’ai même envisagé de laisser tomber tout à fait.

Tu t’es raconté des salades, ma fille. Tu croyais vouloir écrire, mais en fait, c’est pas ce qui t’animes.

La réaction a été immédiate et salutaire : toutes les fibres de mon corps, de mon être entier, se sont révoltées. Comment pouvais-je ? osais-je même ? douter de moi ?! douter de ça ?! Colère, rage, ça tempêtait dans tous les sens et puis, enfin, quand le grand bordel de mes moi intérieurs scandalisés s’est tu, une petite voix éthérée, timide et presque inaudible, s’est élevée du champ de bataille. Percluse d’un désespoir assourdissant.

C’était l’une des premières apparitions de celle que j’ai depuis appris à nommer « la petite rêveuse », la partie créative de moi-même. Je me la représente toujours sous les traits d’Alpaïdis, la petite fée nue de Jean-Claude Servais. Une créature fraîche et gaie comme des perles de rosée, toujours prête à partir à l’aventure, m’emporter dans de nouveaux mondes, de nouvelles histoires, à cheval sur son rire cristallin, vaporeuse, discrète, farouche, romanesque….et excessivement fragile. La moindre critique l’intimide et la désarçonne.

Or, voilà des lustres, maintenant, que la malheureuse partage sa chambrée avec un malotru de la pire espèce : Maurice, l’épicier/orfèvre qui râle sur tout et n’est jamais content de rien. Les tomates ne sont pas assez mûres, la viande n’est pas assez cuite, la soupe pas assez salée, les murs pas assez droits, les circuits électriques pas assez bien rangés, le toit pas assez isolé, la musique trop forte, la peinture trop chargée, les cordes de la guitare trop pincées, l’harmonica trop métallique, le touché du piano trop haché. Tout est toujours trop ou pas assez…ce sagouin est impossible à satisfaire.

La Petite Rêveuse (JC. Servais, BD Iriacynthe)
Maurice, L’épicier/orfèvre

Et voilà comment, depuis trois ans, dès que j’écris un mot, je l’efface aussitôt. Car, dans un coin de ma tête, lorgnant l’évolution du texte par-dessus l’épaule de la Petite Rêveuse, y’a Maurice qui entame l’éternelle rengaine…

Non, ça ne va pas. C’est bizarre, incompréhensible, c’est trop ampoulé, vulgaire, familier, déséquilibré, métaphorique, anticlimacique, anglicique, convenu, cliché, ça ne veut rien dire, c’est nul ! nul ! nul ! Arrête-moi ça, stoppe le massacre !

Oh, ne vous y trompez pas. Derrière son aspect bougon et ses manières de goujat, si Maurice pousse le bouchon, c’est dans un but honorable. Car la Petite Rêveuse ne produit pas que de la qualité et ce brave Maurice, aussi rustre soit-il, s’est donné pour mission de la protéger de la cruauté du monde extérieur.

Elle n’y survivrait pas, m’a-t-il affirmé avec tristesse lors de l’un de nos entretiens. Moi, c’est vrai, je suis dur, mais eux, ils la tailleraient en pièces ! Et puis, on forme une bonne équipe : regarde le résultat ! Ring Est face à R-Zéro première génération…j’ai pas eu raison de refuser l’édition, à l’époque ?

J’ai concédé le point sur une grimace, non sans objecter qu’à l’époque, première ou dernière version, il avait au moins eu la courtoisie d’attendre le produit fini avant de le réduire en lambeaux. Parce que, bon, à raison ou pas, là, ça fait trois ans qu’elle n’a juste RIEN produit du tout…

Du temps perdu ! s’est-il exclamé, ça ne sert à rien de passer tous ces mois sur des bêtises. On l’attend au tournant, tu le sais, on te l’a dit. Le prochain doit être irréprochable ! Autant commencer dès le premier mot !

Et c’est là qu’enfin, j’ai compris. Une phrase, presque un calembour, sorti lors d’une rencontre littéraire. « On n’attend jamais un premier roman, mais on attend toujours le deuxième au tournant ». Il n’en fallait pas plus pour que Maurice, épicier/orfèvre, chicaneur hors-pair et amateur de mots bien ciselés, prenne le taureau par les cornes et bride tout à fait sa frêle compagne.

j’ai négocié sec. On a fini par trouver un accord. Maurice a promis de laisser la Petite Rêveuse tranquille, du moins jusqu’à terme.

Cela va être coton, mais je veux bien essayer.

C’est là que Patou-côté-chien, Pacha-côté-chat et le Limier sont sortis des fourrés de mon esprit, où ils étaient restés cachés tout ce temps.

Il faut veiller au grain ? a demandé Patou-côté-chien, qui ressemble très très fort à Belle, le Montagne des Pyrénées. Mettre de la discipline et faire respecter les règles, c’est mon dada. T’inquiètes, Maurice, je m’occupe de ton cas. Tant que tu fileras doux, tout va bien entre nous, mais à la première incartade, c’est un coup de quenottes dans les jarrets !

Taratata, il a besoin de se changer les idées, laisser libre cours à sa nature profonde, est intervenu Pacha-côté-chat, copie-conforme de Peppino, sur un coup d’oeil noir vers Patou-côté-chien. A force de mettre la priorité sur l’écriture, tu en es venu à ne plus voir tout ce qui peut encore s’améliorer chez la Scribouillasse. Regarde, elle s’est remise à la guitare et la voilà même qui se pique de piano. Ouh la, ça sonne faux. Allez, file, petit padawan, va t’éclater à la critiquer.

Si, ven conmigo, senor, a sussuré Le Limier, dont la dégaine hautaine rappelle Don Lope de Villalobos y Sangre, le loup hidalgo de « De Cape et de Crocs ». Je te trouverai tout ce dont tu as besoin pour critiquer. Internet n’a aucun secret pour moi, je dégotte tout, la bonne affaire, le scoop, l’info juteuse, la vérité profonde. Nomme donc, mon flair est à ton service !

Patou-côté-chien
Pacha-côté-chat (Peppino)
Le Limier (Don Lope de Villalobos y Sangrin – A.Ayroles/JL Masbou – BD De Cape et de Crocs)

Estomaquée par la présence de tout ce petit monde dans une seule tête, je commençais à craindre que l’espace disponible ne soit trop exigu quand un nouveau personnage a fait une entrée fracassante.

Helloooooo, mes chéris ! Surtout, quand vous aurez tout fini, appelez-moi, le marketing, le business, j’en fais mon affaire. Ce livre fera sensation ! Les éditeurs se l’arracheront !

Pour sûr, en voilà une qui ne manque pas de confiance en elle. J’ignorais que j’avais un agent littéraire dans ma tête et, c’est le comble, qu’il ressemblait autant à Cruella Denfer…

sur le coup, la bonne, c’était moi…

Ils s’y sont tous mis et, en quelques coups de cuillère à pot, je me suis retrouvée avec une équipe de projet complète :

  • Patou-côté-chien en chef de projet, celui qui garde tout son petit monde « dans les clous » et structure le planning
  • Pacha-côté-chat, qui ne rapporte à personne (les chats et l’autorité…), mais s’assure que chacun se sente bien
  • Le limier, l’analyste, l’investigateur, le détective, celui qui vérifie les sources, le réalisme, la faisabilité
  • La Petite Rêveuse, la développeuse, celle qui « crée » l’univers et l’histoire
  • Maurice, donc les compétences couplées d’épicier/orfèvre en font un responsable qualité hors-pair, et enfin
  • Cruella, notre responsable communication et marketing, celle qui démarchera les éditeurs et vendra le bébé

Alors, est-ce que l’équipe sera assez forte pour tenir Maurice loin de la Petite Rêveuse et mener à bien le projet ? Sans doute pas tous les jours, non, mais en tout cas, assez pour que je reprenne Laeken Rose….les débuts sont encore balbutiants, on réapprend à marcher avant de courir, mais la Petite Rêveuse a retrouvé avec plaisir Zoé et Gertrude, c’est elle qui a choisi le livre. Elle n’a rien voulu dire, mais un clin d’oeil furtif de Pacha-côté-chat m’a mis la puce à l’oreille. Je pense qu’il y a là-derrière un hommage inachevé à ma belle Morticia, la Rose de Laeken, ma youyoute trop tôt disparue.

A chaque livre son chat…

PS : Patou-côté-chien me fait savoir que chaque projet se doit d’avoir une deadline…à votre avis, quand ?

12 commentaires sur “Autrice et Pro…crastinatrice

  1. Très drôle et c’est si agréable de lire ton écriture si dense et délirante.
    Je pense que tu sais déjà ce que je vais te dire… MARGAUX !
    Margaux Isabelle, l’histoire était si prometteuse, l’écriture si vivante et colorée ! Allons va chercher Margaux !!!

    1. Je pense que la Petite Rêveuse veut vraiment Zoé et (surtout) Gertrude…le décès de Morticia a été un coup très très dur dont personne n’a pu faire le deuil parce que Smoking l’a suivie aussitôt et qu’il y avait trop de douleur pour deux. Smoking est l’Alfred de Ring Est, le livre est dédié à Aramis, ces deux-là sont unis à jamais…mais Morticia attend encore 🙂 Je crois que, sur ce coup-là, la Petite Rêveuse a raison : il est temps de rendre à Laeken la Rose qui est sienne … 🙂

  2. Pour moi c’est au bon vouloir de la petite rêveuse…mais pas trop tard quand même c’est que nous ne rajeunissons pas et qu’il ne faut pas pousser trop loin le bouchon dirait Maurice 😉
    Et puis, il faut bien une bonne nouvelle pour contrebalancer le départ du Grand Jojo qui souhaitait que la fête continue!
    Courage petite fée, on te tient la main 😊

  3. L’équipe est parfaite et elle saura épauler la petite Rêveuse !
    Il faut juste que la petite Rêveuse s’habille un petit peu plus car il fait assez froid en ce moment.

  4. Je suis content de ton choix très … joyeux !! … à mon avis, si tu écris sur un sujet qui te passionne et qui t’inspire, en hommage à un être que tu adorais, tu vas avancer vite grâce à la Petite Rêveuse en toi…Ensuite tu pourras laisser Maurice peaufiner et les autres membres de l’équipe finaliseront !!! …

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