De Krabbelaar aan de Boekenbeurs…

…ou « La Scribouillasse à la foire du livre », en version Nederlands met veel haar op*

* Néerlandais de cuisine; littéralement « Néerlandais avec des poils dessus »

Depuis l’annonce de la sortie de Ring Oost, le jumeau flamand de Ring Est, c’est un moment que je redoutais autant qu’il m’excitait : découvrir les lecteurs de l’autre côté de la frontière linguistique, dans une langue que je pratique sans la maîtriser (comprenez que je la lis et l’entends mieux que je ne la parle). Après le baptême de l’édition, voilà que je me préparais au baptême de la traduction.

Je ne sais pas si je vous l’ai déjà répété quinze mille fois, mais c’est l’une des plus grandes maisons d’édition de ce côté-ci de l’Escaut qui a acheté les droits de Ring Est. Une reconnaissance inespérée pour une autrice inconnue, mais aussi un très beau partenariat pour ce petit pimousse* de l’édition qu’est mon éditeur : un tirage à 2000 exemplaires (pour info, c’est plus que le tirage original de Ring Est), une couverture digne d’une affiche de cinéma et, pour ma pomme, une place à la Boekenbeurs d’Anvers, le rendez-vous littéraire du Nord du pays.

*avis à ceux qui se rappellent de la pub (t’sais c’qu’il te dit, le cassis ?! :p )

Je ne vous mentirai pas, la réception de Ring Oost est plutôt mitigée. En tout cas, très différente de sa version française. En un mois, 4 critiques : 2 excellentes, 2 catastrophiques (pour ceux qui maîtrisent la langue de Vondel, c’est par ici). Peut-être une différence culturelle et les francophones avaient préféré garder par-devers eux les critiques lorsqu’elles s’avéraient négatives (j’en ai bien reçu une ou deux, cela dit, et elles font partie de la revue de presse au même titre que les autres, d’ailleurs). Ou alors, un effet « lost in translation » ? Qui sait ? Quoi qu’il en soit, un démarrage qui a tout pour me faire stresser, surtout que je n’ai pas encore fini de lire Ring Oost. Je me suis arrêtée au 4ème chapitre pour entamer l’excellent « L’Eternité N’est Pas Pour Nous » de Patrick Delperdange, qui se dévore en une après-midi, puis embrayer sur toute la PAL qui traîne à côté de mon bureau. Que du bon : P. Senécal, J. Camut & N. Hug, P. Claudel, L. Spit, M. Voltenauer, A. Seny, S. Price, G. Kawamura, H. Arikawa, A. Erdogan, etc. Du belge, du moins belge, du pas belge du tout, en français, anglais et néerlandais…j’y reviendrai (un auteur est d’abord lecteur, non ? 🙂 )

Alors, comment s’est déroulée cette Boekenbeurs ?

D’abord, contrairement à la Foire du Livre de Bruxelles, la Boekenbeurs est payante. Il faut compter 10 EUR par personne pour pénétrer dans ce temple du livre. Par bonheur, ma maison d’édition avait tout prévu et je me suis retrouvée, un mois avant l’événement, avec un badge m’offrant accès illimité et emplacement de parking et des places gratuites pour Le Mâle. Ensuite, nos amis flamands organisant cette année leur version du Prix Fintro Ecritures Noires (Fintro Prijs Spannend Boek), une rencontre était organisée ce 4 novembre à 14h en partenariat avec la Foire du Livre de Bruxelles sur le thème de « Op zoek naar nieuw Belgisch litterair talent » (« A la recherche des nouveaux talents littéraires belges »). Au micro : Toni Coppers, star incontestée du polar flamand et président du jury du Fintro Prijs, Patrick Delperdange, qu’on ne présente plus du côté francophone et président de la 3ème édition du Prix Fintro…et la Scribouillasse :). Au menu : 45 minutes dans les deux langues suivies d’une heure de dédicace de « Ring Est » et des oeuvres de Patrick sur le stand de la Foire du Livre (Toni Coppers, lui, a une table réservée pour toute la durée de la Boekenbeurs sur le stand de Standaard Uitgeverij).

C’est là que ça devient drôle.

Le Mâle et moi sommes arrivés bien à l’avance auprès du Geel Podium où devait se dérouler la rencontre. J’étais psychologiquement préparée à assurer dans les deux langues (pas parfaite bilingue, mais un niveau correct avec un soupçon d’angliche bon chic bon genre). Sur l’écran, rien d’annoncé. Oh ooh…Qu’à cela ne tienne, nous nous retrouvons à 13h55 près du podium avec Toni Coppers qui, malgré son statut de méga-super-star, est vraiment super adorable (déjà, il m’a accueillie comme si c’était moi, la star, et il a ajouté « ma femme est en train de lire Ring Oost, elle adore »….mooooooh, un vrai de vrai gentleman, ce Toni !). Quelques secondes plus tard, c’est le commissaire de la Boekenbeurs, Geert, qui débarque. A ce point de l’histoire, Le Mâle a fait remarquer que rien n’annonce la rencontre, nous avons perdu le journaliste en charge d’animer la rencontre, et notre président francophone n’est pas encore arrivé. A 14h10, après avoir joué Sainte-Anne et guetté du haut de ma tour l’arrivée de Patrick Delperdange, je l’aperçois qui galope dans les allées de la Boekenbeurs. On lui avait indiqué le mauvais podium et il avait donc traversé trois fois les 20.000 m² de l’Antwerp Expo à la recherche de la rencontre perdue. A 14h15, après avoir essayé tous les sièges (vides, puisque la rencontre n’était annoncée nulle part), souhaité de bonnes dédicaces à Toni qui s’en retournait à sa table, retrouvé le journaliste qui animait un stand de confiture (true story !) dans le hall 2, trouvé la responsable marketing de Fintro qui se baladait dans les allées et définitivement annulé la rencontre manquée, nous avons tous (Le Mâle, Patrick, la responsable marketing et moi) fini au salon VIP à siroter du pinard avec Geert, resté bravement à nos côtés, tandis que Patrick nous donnait les derniers conseils gastronomiques bruxellois du mois (tudju, le cassoulet caraïbe et les croquettes de pied de porc du « Bout de Gras », faut que je teste !). Une histoire bien drôle qui s’est terminée attablés sur le stand de la foire du livre avec un sourire niais devant des foules flamandes qui se demandaient qui pouvaient bien être ces deux gugusses francophones et ce qu’ils pouvaient bien foutre au milieu d’une foire néerlandophone. On n’a pas signé le moindre bouquin, mais qu’est-ce qu’on a ri ! Je n’ai peut-être pas brillé in het Nederlands, mais Le Mâle et moi avons complété notre sortie anversoise d’un petit détour par le « Five Guys » et c’est le ventre bien rempli d’un bon Burger que nous sommes rentrés à la maison 🙂

Avance rapide d’une semaine et rendez-vous le 11 novembre. Retour à la Boekenbeurs, cette fois pour une dédicace de « Ring Oost » sur le stand de mon éditeur, un énorme espace bardé de bois clair et de tables modernes, des milliers de livres arrangés en tours, des lampes en forme de livres ouverts (voir ici et ici pour la Boekenbeurs en images). Bref, un truc du feu de dieu avec des dizaines de « Ring Oost » en évidence sur la tête de ban. Le Mâle et les puces m’accompagnent, les petites excitées à l’idée de me voir attablée avec une foule de fans en furie. Difficile de leur faire comprendre que…hum…je suis encore plus inconnue au Nord qu’au Sud. Si une personne arrivait à ma table, par hasard ou pour demander son chemin, ce serait déjà énorme :D. Leur père, cependant, me délivre très vite et les emmène pour un lunch et un tour de shopping livres tandis que je m’installe à la place qui m’est réservée, auprès de deux « collègues » déjà bien entourés. Je reconnais aussitôt l’un d’eux, je l’ai rencontré la semaine précédente : Toni Coppers. Autour de lui, des centaines de bouquins, dont son dernier titre qui vient juste de sortir de presse. La foule qui se presse devant sa chaise ne désemplit pas et lui laisse à peine le temps de boire une gorgée d’eau, de mordre dans un sandwich. Pourtant, il garde le sourire et accorde à chacun le temps nécessaire d’une bonne discussion, d’échanges d’anecdotes, etc. Oui, tout le monde connaît Toni et Toni connaît tout le monde. C’est hallucinant. Il me fait un petit signe et retourne à ses dédicaces. Elle n’arrêteront pas des deux heures où je serai là…et dire qu’il est à demeure sur les deux semaines ! Vous imaginez le monde ?!

J’en profite donc pour faire connaissance avec mon deuxième collègue présent, dont la table vient juste de se libérer. Jan Van Der Cruysse, ancien porte-parole de l’aéroport de Zaventem et auteur d’une trilogie (bientôt une quadrilogie), « Bling Bling », couronnée de prestigieux prix en Flandre et aux Pays-Bas (Hercule Poirot, Schaduwprijs, Diamanten Kogel). Quelques minutes suffisent et, hop, nous voici à discuter à moitié en flamand, à moitié en français. Il me raconte comment se passe l’édition au Nord, je lui explique ce que je connais de l’édition au Sud. Les soucis sont, en somme, les mêmes : un auteur flamand édité en Flandre a du mal à passer la frontière pour conquérir un public hollandais, tout comme un auteur belge francophone édité en Wallonie a du mal à conquérir un public français. Mais éditer ailleurs qu’en Flandre est impensable pour eux, alors que passer à Paris est presque une obligation de survie chez nous. En cause : un public flamand hyper supportif et au fait de ses auteurs alors que les Bruxellois et Wallons ignorent presque tous qu’Eric-Emmanuel Schmitt est belge…

On parle de bouquins, Jan m’indique toutes les célébrités (les « bekende vlamingen », flamands célèbres) qui arpentent les allées de la foire ou signent sur les tables de l’autre côté de l’allée (le seul qu’il n’aura pas besoin de me nommer, c’est Théo Francken, notre secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration, un triste sire aux idées que j’aurais voulu révolues), mais surtout, Jan me raconte son propre parcours (il a commencé à 55 ans et signe son troisième livre) et me rassure sur l’avenir de « Ring Oost ». 2000 exemplaires ? c’est énorme pour un premier bouquin ! C’est que l’éditeur y croit vraiment ! New Book Collective ? C’est un diffuseur vers les Pays-Bas, ça marche du tonnerre, ils sont vraiment super actifs et super pros. Tu vas voir, il faut un peu de temps, mais livre après livre, tu auras ton public et il est fidèle. Il connaît même le nom du photographe qui signe ma couverture et marque de l’intérêt pour mon livre. Je me retrouve bientôt à lui dédicacer « Ring Oost » tandis que lui me dédicace « Bling Bling » (j’adore découvrir de bons auteurs et il m’a vraiment donné envie de me plonger encore plus dans cette littérature flamande qui n’a pas encore été traduite ici). Notre discussion est émaillée d’apparition de lecteurs qui viennent lui rendre visite, Joke (prononcez Yokke), la représentante de notre éditeur, passe souvent nous voir pour s’assurer qu’on a assez à boire, ou à manger, et je me dis que même si personne ne vient à ma table (je m’y attendais), c’est quand même incroyable de pouvoir être là.

Puis, à dix minutes environ avant la fin de ma séance, comme toujours dans les bonnes histoires, arrivent les deux rencontres que je n’attendais pas et qui seront les cerises sur le gâteau. D’abord, la femme de Toni Coppers, de passage dans les allées, vient me saluer. « Ah, c’est vous Isabelle Corlier ! Je suis en plein dans Ring Oost, j’adore ! ». La femme d’un des maîtres du thriller en Flandre adore mon livre ?! C’était donc vrai ce qu’il m’avait dit la semaine précédente ?! WOW ! Puis arrive un monsieur qui salue tout le monde et, voyant mon livre et l’affichette avec mon nom, se fend d’un long discours très rapide en flamand que, malgré ma pratique passive plutôt bonne, j’ai un peu de mal à suivre. Qu’à cela ne tienne, ses dernières paroles sont sans appel : « Ring Oost, heb je dat gelezen ? dit-il à Jan, dat is waanzinnig goed ! echt, he ! TOP !  » (Ring Est, tu l’as lu ? c’est incroyablement bon ! vraiment ! top !). Puis il embraie : c’est un ancien avocat et il a été ravi des procédures judiciaires dans mon livre. Tout est correct. Le livre est crédible et c’est la première fois qu’on aborde le thème comme je l’ai fait. Je comprends aussi qu’il est critique. « A Amsterdam, la semaine passée, y’a plein de gens qui voulaient critiquer ce livre. Il intéresse vraiment beaucoup de monde ». Je rougis, je suis super heureuse, aux anges même. Voilà qui me redonne confiance après deux critiques pourtant très peu élogieuses du livre (voir plus haut).

A mon départ, après une seule dédicace, le livre de Jan dans mon sac, à coté d’une énorme boîte de chocolats Neuhaus offerte par mon éditeur (et que notre ami Oth67 aimerait beaucoup, voir photo ci-dessous) et d’un gros paquets de Speculoos, je ressors de l’Antwerp Expo avec la patate pour les trois prochains mois. Chaque expérience dans ce drôle de monde de l’édition m’en apprend chaque jour un peu plus sur ce métier incroyable. Même si je n’ai fait qu’une dédicace, j’ai découvert un événement d’une énergie incroyable, fait des rencontres uniques et vibré, même si peu, même en inconnue ultime, avec une Boekenbeurs à laquelle j’espère pouvoir participer à nouveau. Tout comme j’espère de tout coeur que ces talentueux auteurs du Nord que j’ai rencontrés seront bientôt traduits en français afin de pouvoir les revoir à notre événement littéraire du Sud : la foire du livre de Bruxelles.

Bref, voilà, une Boekenbeurs et des lecteurs néerlandophones qui me font découvrir de nouveaux codes, de nouvelles émotions, m’apprennent à être plus forte, aussi, que ce soit sur le Ring Est, le Ring Oost ou, tout simplement, dans l’écriture.

Hartelijk bedankt aan Standaard Uitgeverij & Angèle, aan de organisatie van de Boekenbeurs,  en meestal aan Jan Van Der Cruysse en Toni Coppers voor hun steun en vriendelijke ontvangst. Het was kei leuk om jullie te ontmoeten !

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12 commentaires sur “De Krabbelaar aan de Boekenbeurs…

  1. Finalement c’était une bonne expérience pleine de promesses cette Boekenbeurs in Antwerpen 😉
    Ainsi tu aimes aussi Patrick Senecal 🙂 J’ai eu le plaisir de lui parler lors d’une rencontre littéraire à la Bila (https://www.bila.ink/) à un jet de pierre de chez moi. Un grand souvenir 👍

  2. Incroyable ! Tu me redonnes l’envie de lire en néerlandais. En route pour Bling Bling. Mais je ne me risquerai pas dans Ring Oost, j’ai uin trop bon souvenir de l’original 🙂

    1. Oh, ça, c’est top ! Bonne lecture… et on pourra voir ce qu’on pense chez un de son livre, je le commence aussi 😉

      Et merci pour Ring Est 😍

  3. Un changement de langue et hop, un changement d’avis ?
    Pas logique tout cela !
    Ils ne comprennent vraiment rien !

      1. j’en doute. Non, de ce que j’ai vu des critiques (négatives), ils trouvent les personnages pas attachants du tout et trouvent que le roman est trop lent et sans histoire. Bah, ça arrive, hein 🙂

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