La Scribouillasse fête la Belgique

Woo hoo, aujourd’hui, on ressort le drapeau, les cotillons, les habits de fête (ou de plage, vu le temps magnifique qui règne sur mon Grand Nord chéri) et, après les nippes, voilà qu’on met sa plus belle nappe pour accueillir (en noir) chocolat, (en blonde) bières, (en rouge) Kriek et fraises, tandis qu’on chauffe le barbecue (eh oui, aussi !) qui va grésiller sous les steaks et le speck (une bonne grosse tranche de lard) et qu’en cuisine frétille la friteuse et casserolent les moules. Aujourd’hui, c’est la fête nationale !

Vive la Belgique !

Et tant qu’à être noir-jaune-rouge au jardin et en cuisine, pourquoi pas pousser jusque dans la bibliothèque et tester quelques titres, jeunes et moins jeunes, issus de l’imagination débordante de mes compatriotes ? Car oui, la littérature belge a plus d’une plume à son actif, au Nord comme au Sud, et elles valent le détour.

Trois couleurs : NOIR

chat

On ne le présenterait presque plus…L’homme aux 700 millions de livres vendus, qui se place sur la cinquième marche du podium des auteurs les plus lus de tous les temps. Le premier francophone…un Belge.

Après un début très difficile dans ma jeunesse avec « Le Pendu de Saint-Pholien » (lecture obligée à l’école par je ne sais plus quel prof qui m’avait dégoûtée du brave Maigret), c’est « Le Chat » qui, plus tard, me réconciliera avec la plume du grand Georges. Huis-clos oppressant porté à l’écran par les monstres Gabin et Signoret, « Le Chat » occupe une place à part dans mon coeur de lectrice (peut-être parce qu’il me rappelle d’autres vieux qui vivaient l’un à côté de l’autre, aigris, amers et la bouche toujours prête à quitter son rictus dès lors qu’ils pouvaient critiquer l’autre au travers de son animal, en l’occurence un chien). Un chef-d’oeuvre de noirceur au quotidien qui se lit le temps d’une après-midi. Sinon, vous pouvez toujours aller piocher dans les quelques 500 romans et nouvelles du maître Simenon, il y aura bien de quoi faire votre bonheur.

carré

Celui-ci, par contre, s’il est une sommité au Nord (plus de 40 bouquins à son actif), passe presque inaperçu au Sud. Pourtant, le Brugeois Pieter Aspe n’a rien à envier à ses confrères francophones, que du contraire ! Car s’il aura fallu près de 15 ans pour que les francophones le découvrent (première traduction chez Albin Michel en 2008 pour un bouquin sorti originellement en … 1995), les Anglais l’avaient déjà découvert grâce à la série télé adaptée de ses œuvres…et voilà que, depuis 2014, notre Aspe national a même conquis les USA.

J’ai découvert « Le Carré de la Vengeance », par hasard, en 2004 sous son titre original « Het Vierkant van de Wraak ». Un polar avec la Venise du Nord, Bruges, en toile de fond et un flic amateur de Duvel et une substitute sexy en diable et qui n’a pas froid aux yeux ? Allez, hop, embarqué. Au niveau de l’intrigue, l’auteur nous balade de l’ésotérique au terre-à-terre et n’hésite pas à toucher aux tabous les plus ancrés en nous (et pour cause, c’est pas joli-joli). On n’est pas au niveau du chef-d’oeuvre décrit plus haut, mais, à sa manière, bon enfant, bourrue et un peu pataude, Aspe a créé une vraie atmosphère polar à la flamande. C’est un auteur que je lis toujours avec plaisir et ce n’est pas une coïncidence si certains personnages de Ring Est lui rendent hommage.

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Un monstre sacré, un néerlandophone et…une femme ! Je ne pouvais pas conclure cette couleur : Noir sans citer au moins une représentante du beau sexe. Oui, au moins une, parce que ça se bouscule au portillon, les autrices, en Belgique, et dans tous les genres, encore…mais j’y reviendrai dans les autres couleurs. Donc, ici, Barbara Abel. Derrière sa petite coupe au carré, un sourire à la fraîcheur acidulée et des yeux d’un vert rieur, la jolie Barbara cache l’une des imaginations les plus effrayantes et noires de Belgique. Avec un palmarès impressionnant (Prix Cognac pour son premier livre, je ne vous dis que ça !), cette Bruxelloise a conquis l’Hexagone depuis 16 ans déjà et révolutionné le genre du thriller !

« Derrière la Haine » démarre comme une histoire qui finirait bien. Deux couples unis par l’amitié la plus profonde, inséparables comme les maisons mitoyennes qu’ils occupent, et leurs enfants, deux garçons du même âge, qui grandissent ensemble et s’aiment comme des frères. Une vraie image du bonheur comme il pourrait y en avoir partout, car Barbara, au contraire d’Aspe ci-dessus, ne donne aucune indication de lieu. France, Belgique, quelque part dans le monde… Puis un jour, la machine grippe, un accident, une catastrophe…et peu à peu, la bête tapie derrière la haine détruit tout sur son passage. Un livre qui se lit au fond du canapé, avec une bonne tasse de thé ou de café, en petit biscuit de quatre heures, pour frissonner bien comme il faut dans son cocon…chaudement recommandé par ma maman qui a aussi adoré la suite (« Après la Fin ») et le petit dernier tout chaud sorti des presses de Belfond : « Je t’aime » (quand je vous dis qu’elle fait des livres qui démarrent comme des histoires qui finiraient bien !).

Trois couleurs : JAUNE

edouard

Dans le style acidulé et complètement barré, on a Nadine Monfils. Bruxello-Montmartroise (ouais, c’est possible !), Nadine Monfils, elle sait tout faire : des romans, de la poésie, du théâtre, de la galerie d’art et même du cinéma ! Copine de Frederic Dard et Jean-Pierre Jeunet, vous imaginez un peu ce que ça donne sur papier ?

« Madame Edouard » c’est l’histoire d’un commissaire de police pas comme les autres. D’abord, Léon (c’est son nom), il aime tricoter, ça lui calme les nerfs et ça l’aide à réfléchir. Faut dire aussi que le commissaire Léon vit et travaille à Montmartre au milieu d’une bande de zouaves pas piquée des vers. Dedans, y’a le taulier du bar qu’il fréquente et dont la femme n’arrête pas d’acheter des trucs qui servent à rien au Pin’s, un nain colporteur, puis y’a un curé kleptomane « pour les oeuvres du christ » qu’on devrait inviter aux dîners de cons rien que pour ses bricolages religieux (faits avec le produit de ses larcins divins), Nina Tchitchi, sa secrétaire avec des boucles d’oreilles à faire peur à un sapin de Noël, Ginette, sa mère (à Léon, pas à la secrétaire), bruxelloise expatriée qui lui prépare plein de stoemps emplis d’amour avec quand même un peu de piques dedans, Babelutte, son chien homosexuel mais presque et Irma/Edouard, le travelo/ménagère du quartier. J’en passe et des plus hauts en couleurs encore… »Madame Edouard », que Didier Bourdon a immortalisé au cinéma, est le premier de la série des enquêtes du commissaire Léon (joué, lui, par Michel Blanc), des bouquins tous plus dingues les uns que les autres. Au cas où vous auriez besoin d’un petit remontant plein de soleil et de rire avec des vrais morceaux de surréalisme dedans.

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Allez hop, puisqu’on est dans l’acidulé, lançons-nous dans la littérature jeunesse avec Frank Andriat qui, en plus d’être l’un des êtres les plus adorables du monde (il était venu me souhaiter bonne chance avant ma toute première dédicace à la foire du livre) est également un prof à la hauteur de l’auteur pro qu’il est (et vice-versa, na !). Auteur prolifique, il n’hésite pas à aborder des sujets délicats avec une sensibilité et un sens de la pédagogie extraordinaires (si vous ne me croyez pas, allez jeter un coup d’œil à son site).

« Bob Tarlouze », c’est un ado, quinze ans au pif, fan de la panthère rose, du boudin-compote (ah, on est belge ou pas) et des enquêtes policières. Affublé d’un patronyme qui tient de la tare (un lapsus d’employé communal à sa naissance), il a décidé de s’en accommoder avec philosophie et le sourire. D’autant plus qu’habillé de rose des pieds à la tête (je vous disais qu’il était fan de la Pink Panther), notre Bob tire parti de son sobriquet pour démêler l’écheveau des mystères qui se présentent à lui et nous emmener avec humour et tendresse vers les thèmes souvent difficiles de la différence…des petits bonbons (6 à ce jour) à consommer sans modération !

PitjeRoger Kervyn de Marcke Ten Driessche…tudieu, on parlait de Tarlouze plus haut, mais voilà un blaze à foutre la haine à n’importe quel employé communal…t’imagines imprimer ça sur une carte d’identité (de la taille d’une carte bancaire, en Belgique) ?! Surtout quand tu sais que le coco avait, comme prénoms, Roger Édouard Corneille Marie Ghislain !! Toujours est-il que ce cher Roger, qui était avocat de profession, fut un écrivain, sinon prolifique, du moins à l’humour (bruxellois) bien trempé et un Belge convaincu puisque c’est lui qui fut à l’origine de nombreuses traductions du flamand vers le français.

« Les fables de Pitje Schramouille », c’est, plus qu’un chouette recueil de fables en Bruxellois (des Marolles), c’est un vrai trésor national ! Ouais, avec tambours et trompettes et même quelques colombes dans le chapeau ! Découvert grâce aux conseils d’une de mes amies, je l’ai lu d’un bout à l’autre en gloussant comme une dinde ! C’est drôle et émouvant, ironique et cynique, avec, dans le verbe, toute la verve du plus vieux quartier de la Capitale, ces Marolles extraordinaires qu’un Schieven Architekt (‘Architecte de travers’, pire insulte au monde pour un Bruxellois) a voulu un jour détruire pour y foutre un gros Palais de Justice tout bouffi. Et comme c’est cadeau, voici l’une de ces fables lues par « Le Grand Jojo » (autre grande fierté nationale, tiens !) :  La Pécole.

Trois couleurs : ROUGE

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Rouge, bien sûr, c’est la couleur du sang. La couleur des joues rouges d’avoir trop ri, aussi. Et ça, nos deux compères cachés sous le pseudonyme d’Yves Laurent (Yves et Laurent, donc), ils connaissent bien. Passez juste cinq minutes avec eux et c’est parti pour une bonne tranche de rire à la belge, pleine d’auto-dérision bon enfant et de bonne humeur contagieuse. Seuls auto-édités de ma petite présentation, ils connaissent un franc succès en Belgique comme en France où ils sont de tous les festivals et de toutes les rencontres (vous ne pouvez pas les louper, c’est le stand où tout le monde se bidonne).

« Jeux de Mains », c’est une enquête endiablée dans les rues de Bruxelles avec, aux commandes (plus ou moins), l’Inspecteur Principal Corduno qui se retrouve confronté à un serial killer qui lui avait filé du fil à retordre et des cauchemars deux ans auparavant avant de s’évaporer dans la nature. Entre scènes plutôt gores (mêmes si les auteurs s’en défendent d’un « et pourtant, on s’est retenus, hein ! »), personnages et intrigues qu’on dirait tout droits sortis d’un San-Antonio, voilà un petit city-trip entre rouge à lèvres, de rire et de sang où les dialogues fleurent bon le Brusseleir.

AVANT-LES-TOURNESOLS

Rouge colère, rouge amer, rouge comme un cœur qui bat même quand il n’a plus de raison de battre. Rouge comme le nom de Sarah Berti qui s’étale en couverture de ses romans. Autrice originaire du Brabant Wallon, Sarah crée des personnages à la mesure de l’autrice qu’elle est : généreux, sensibles, esthètes, épicuriens, pleins d’audace et épris de liberté.

« Avant les Tournesols » pourrait se résumer par un retour sur une enquête bâclée. A tort. Car c’est avant tout, pour moi, du moins, une quête initiatique, la découverte d’elle-même par l’héroïne du livre, Smeralda, la fille de la victime, dont l’histoire débute par un accouchement après déni de grossesse, et qui se révélera peu à peu et grandira dans cette enquête où les Tournesols de Vincent Van Gogh ne sont jamais loin. Ces tournesols si chers à sa mère, cette amoureuse du soleil et des couleurs, cet idéal maternel qui, au centre de la tragédie personnelle de l’héroïne, lui a été enlevé trop tôt. Un de mes coups de cœur 2018.

surfaceEt enfin, pour conclure, Rouge comme nos Diables, Rouge passion. Une passion en ligné bleu et noir, dans ce cas-ci puisque le héros (et l’auteur) du livre dont je vais parler sont fans du Club de Bruges. Et oui, il s’agit de football, mais pas que…mais j’y reviendrai. Olivier El Khoury est un Namurois exilé à Bruxelles, comme moi, et, ça ne s’invente pas, figurez-vous que nos mamans se connaissent ! « Surface de Réparation » est sa première oeuvre et elle a déjà raflé pas mal de suffrages. A tel point qu’il a été finaliste du Prix Première, l’un des plus prestigieux prix littéraires de Belgique !

« Surface de réparation », c’est, en 17 tableaux, des pans de la vie du narrateur qui se dévoilent, de sa naissance à … à quoi, tout compte fait ? Il n’y a pas vraiment de suivi chronologique, pas de repères temporels, non plus (à part les attentats de Bruxelles et Paris), mais qu’importe ! C’est cru, certes, mais pas plus que d’autres bouquins contemporains et puis, c’est plein d’humour, de dérision, de réflexions sur le quotidien d’un jeune d’aujourd’hui, d’origine arabe par son père, confronté à un monde post-attentat, ses frustrations, ses expériences, le sexe, le reste, des sujets plus ou moins importants avec, toujours, au centre de tout, le foot, l’impact que celui-ci a sur sa vie, les événements qui se lient et se délient jusqu’à des moments très durs. Le foot, pas passionnant (à part quand on est en demi-finale de coupe du monde) ? eh ben, découvrez-moi ça, ça vaut bien deux mi-temps !

Voilà ! Bien sûr, il y en aurait encore bien plus à vous faire découvrir (je l’ai d’ailleurs déjà fait sur certaines de mes critiques : Caroline de Mulder, Bertrand Scholthus), mais je pense avoir fait un petit tour déjà plutôt sympa de ce que mon joli petit pays a à offrir. Comme quoi, y’a pas que Ring Est, hein 😉

Bonne fête des Belges !

8 commentaires sur “La Scribouillasse fête la Belgique

  1. Quelle aisance dans ta plume !
    Bon, depuis ma lecture de Ring Est, je ne pense plus qu’à ouvrir du Simenon. Honte sur moi ! Je ne l’ai jamais lu !
    Il faut dire aussi que je ne suis pas une habituée des polars !

    1. Arriver à Simenon en passant par la case Scribouillasse, c’est un parcours pour le moins inédit :p
      Je te conseille vivement « Le Chat », un délice (et c’est pas du polar 🙂 )

      1. Ah ah !!!
        C’est fait, je viens de commander Le Chat sur Amazon avec Lettre à ma mère… On va y aller doucement…
        🙂

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