Ring Est à la Conquête du Nord

Mamy aurait été fière.

Nu ben ik een echte belgische schrijver. Maintenant, je suis une vraie autrice belge.

Ce sont les deux idées qui se sont télescopées dans ma tête (entre trois mille « Merci merci merci » et autant de « sérieux ?! » ébahis) quand mon éditeur m’a appelée pour m’annoncer la grande nouvelle : Ring Est, bientôt en Néerlandais !

Oui, tu as bien lu.

3 mois après sa sortie officielle, mon petit polar a conquis le cœur d’un éditeur flamand. Et pas n’importe lequel ! Rien moins que la maison qui a lancé Pieter Aspe : les Editions Manteau !

Alors, comment expliquer la joie qui est la mienne ? il y a tant de niveaux sur lesquels cette nouvelle me ravit !

D’abord parce que je suis arrière-petite-fille de wallon installé en Flandre et petite-fille de flamande installée en Wallonie. Du coup, entre Grand-papy Juju qui a tenu 4 ans dans les tranchées de l’Yser et la famille de ma grand-mère qui a quitté son petit village de Sint Katelijne Waver, entre Bruxelles et Anvers, pour venir s’établir en région namuroise, dans la vallée mosane, la langue de Hugo Claus fait partie de mon patrimoine culturel. Mon enfance a été bercée des histoires que Mamy nous racontait, à mes cousines et moi, dans cet accent chantant du Nord où les r roulent  et les g grincent comme les nuages grommellent sous l’orage. Mon palais a été éduqué à la cuisine du Nord, aux patates et aux sauces à l’oignon, à la gueuze et aux carbonnades flamandes. Francophone par choix, Mamy, qui profitait de chaque occasion pour apprendre une nouvelle langue (elle parlait couramment le français et le néerlandais et pouvait se faire comprendre en allemand, anglais, italien et espagnol), n’a jamais oublié ses racines. Mes premiers pas en flamand ont d’ailleurs été supervisés par elle et j’ai encore chez moi les livres qu’elle m’avait achetés pour m’habituer à la lecture et la prononciation de cette autre langue nationale. Grand-papy est mort bien avant la deuxième guerre et Mamy nous a quittés il y a six ans déjà, mais je pense qu’ils auraient été fiers de Ring Est.

Ensuite, parce que je suis maman de cœur de flamandes. Eh oui, « mes petites », qui sont en vérité les filles de mon chéri, sont néerlandophones. Nederlandstalig, comme on dit par ici. Du coup, à la maison, ça cause un joyeux sabir de français et flamand mélangés dans lequel « alors, les meisjes, is dat lekker, votre dessert ? »* dénote d’une syntaxe correcte et le « taalwisseldag » (le jour du changement de langue) où elles ne peuvent parler que français et nous ne pouvons parler que néerlandais est une coutume hebdomadaire. Alors si déjà elles étaient fières de pouvoir dire que leur Isabelle avait écrit un livre, vous imaginez l’effet que ça leur fait de savoir que ledit livre sera bientôt disponible dans leur langue ? que les parents de leurs amis vont pouvoir le lire ? qu’elles pourront aussi le lire, dans quelques années (parce que c’est pas du tout conseillé à des pré-ados)

  • alors, les filles, c’est bon, votre dessert ?

Enfin, parce que je suis Belge et que je me revendique comme telle. Pas wallonne, pas bruxelloise, pas francophone : Belge. Originaire de Wallonie, Bruxelloise depuis plus de 23 ans, et récemment installée en périphérie, en Flandre, le flamand fait autant partie de mon quotidien que le français. J’ai des collègues flamands, des voisins flamands, des amis flamands et une partie de ma famille est flamande. Mon brusseleir est en réalité un dialecte flamand francisé et même mon wallon de Namur a intégré des notions venues du Nord (parce que, ouais, les wallons font aussi les choses en stoemelinks quand ils veulent rester discrets et que, j’ai vérifié, c’est pas vraiment un mot français, stoemelinks). Ma culture est issue de la rencontre de ces deux mondes, de ces deux langues, dans ce jeune pays à l’Histoire millénaire que ni les Français, ni les Hollandais n’ont pu conquérir tout à fait. Un pays belge, à la fois flamand, bruxellois et wallon. Alors, bien sûr, voir Ring Est exister dans les deux langues, pour moi, c’est important. C’est un symbole, un signe que la culture belge existe et qu’on s’y reconnaît tant au Nord qu’au Sud, peu importe la langue d’origine.

Mais il n’y a pas que ça ! Derrière cette traduction, il y a deux bonus, deux cerises sur le gâteau, deux belles griottes (du nord, bien sûr) issue d’un seul et même arbre : la maison d’édition en charge de la traduction. Manteau.

Griotte #1 – les éditions Manteau, désormais sous l’ombrelle de « Standaard Uitgeverij« , la plus grande maison d’édition flamande, ont une histoire qui me touche de façon très personnelle. En effet, Angèle Manteau, la fondatrice, était une wallonne de la vallée mosane (originaire de Dinant) qui découvrit la littérature flamande lors de ses études à Bruxelles. Elle consacra sa vie à promouvoir les auteurs flamands et sa maison est considérée par l’Académie Royale Flamande des Sciences et des Arts comme ayant incontestablement marqué l’histoire de la littérature flamande. Une vraie histoire belge féminine ! Faire partie du catalogue d’auteurs de cette maison-là est pour moi une fierté supplémentaire !

Griotte # 2 – je l’ai dit d’entrée de jeu, Manteau, c’est la maison qui a fait découvrir Pieter Aspe. Et Pieter Aspe, c’est celui qui m’a fait lire à nouveau en flamand. C’était en 2003, j’avais acheté Het Vierkant van de Wraak. Le livre a été traduit bien plus tard par Albin Michel sous le titre Le Carré de la Vengeance (traduction littérale), mais j’ai continué en flamand. Et pour l’anecdote, Pieter Aspe m’a tellement marquée qu’un des personnages de Ring Est en est fan ! Il y a même une scène qui fait référence à lui et à l’un de ses livres (Misleid, d’ailleurs jamais traduit en français). Vous comprenez pourquoi j’étais à la fois béate et ébahie quand j’ai eu la nouvelle ?!

J’ai hâte de le lire, désormais, et de redécouvrir mes mots dans la langue de ma grand-mère ! Oh et quel sera son nouveau titre ? Ring Est deviendra-t-il Oost Ring, tout simplement, ou décidera-t-on de le renommer ? Et quelle sera la couverture ? Rhaaa, suspense ! suspense !

Bref, voilà, c’est une nouvelle vie pour Ring Est. Je n’aurais jamais même rêvé voir mon livre partir si vite à la conquête de lecteurs non-francophones et je suis si fière de voir que son premier envol sera vers le Nord !

 

 

25 commentaires sur “Ring Est à la Conquête du Nord

  1. En plus de ton enthousiasme qui fait plaisir à voir, ce billet est un petit bijou d’écriture, cet accent chantant du Nord où les r roulent et les g grincent comme les nuages grommellent sous l’orage, j’adore! Un concentré d’émotion aussi et de fierté légitime que tu nous fais ressentir. Les belges jamais conquis, c’est par cet amour que vous avez, vous, les belges pour votre pays et cette force indomptable que les belges sont belges, talentueux et d’une extraordinaire ouverture d’esprit.
    Bravo Isabelle, et ce n’est que le début, souviens-toi!

      1. Je n’ose plus utiliser mon klaxon pour râler depuis que j’ai lu ton livre…

      2. Figure-toi que, histoire authentique, j’ai un pote qui a poursuivi une chauffarde inconsciente qui lui avait fait une queue de poisson…il n’a repris ses esprits qu’en se disant « mais attends, là, je joue à Ring Est ou quoi ?! » ….il avait lu le livre 2 jours plus tôt :p

  2. J’ai aimé !!! 🙂 J’aime bien les polars, et il est bien comme j’aime, pas trop trop noir !
    Bravo m’dame 😉

  3. J’avais pas vu cette belge info 😉
    Je comprends ta fierté moi qui suis issue du mariage d’un Brugeois et d’une ardennaise et donc qui possède aussi, si pas tout à fait les deux langues, la double culture.
    On ne peut pourtant pas dire que tu seras éditée sous le manteau podferdomme!

  4. L’article du Soir m’a donné envie de lire Ring Est: j’ai adoré. J’y ai retrouvé un peu de bien des auteurs que j’aime, de Pieter Aspe, de Michael Connelly, de Pierre Lemaître, un poil aussi de Faletti, et d’autres.
    Et voilà qu’à un détour de mon errance virtuelle, je tombe pile sur le blog de l’autrice.
    Alors, nomdidju, pas d’hésitation: je m’abonne. Et merci pour le plaisir que m’a procuré la lecture.

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