Du Calcaire Qui Ne Laisse Pas De Marbre

Je t’en ai parlé dans mon dernier petit billet, cette semaine, entre deux Camilla Läckberg (Dieu que ses intrigues sont cousues de fil blanc, mais peu importe, je me suis attachée à Erica, Patrik, Martin, Annika, Anna…et même Mellberg), je revenais à mon plat pays chéri au travers de la plume de Caroline De Mulder.

Quelle bonne idée !

Calcaire. A l’intrigue simple et pure comme le blanc du minerai dont elle tire son titre. Quête effrénée de Frank Doornen, lieutenant au rebut suite à un AVC, sur les traces de sa bien-aimée Lies, disparue lors de l’effondrement de la Villa des Roses, engloutie par l’un des innombrables glissements de terrain qui sévissent sur ce pays limbourgeois couturé de centaines de kilomètres de galeries calcaires. Caroline nous dépeint une Flandre aussi noire que son sol est blanc. Où le glauque te colle au coeur comme la poussière grumeleuse te colle aux basques. Langage haché, hachuré, râpé. Décors gris et lourds et plombés. Prépare-toi à une plongée au pays laiteux du noir profond.

Personnages cabossés, atypiques, blasés et désaxés. Doornen entre le Bud White d’Ellroy et le Jacky Vanmarsenille de Roskam, violent et dangereux, limite suicidaire, brisé, sur le fil. Lies, évoquée par les uns, par les autres, amour pur et pute-pantin désarticulé, âme déracinée, un rêve, pas de réalité. Une collection de rôles secondaires hauts en couleur, ternes dans l’âme, où le plâtras s’écaille et se fendille sous le poids des secrets qui se broient et s’accumulent et se colmatent comme ailleurs les organismes s’agrègent en calcaire. C’est lourd, c’est oppressant comme le ciel qu’on ne connaît que par chez nous, c’est cru et ça parle tout droit dehors, sans s’encombrer de fioritures, mais avec cette poésie du paysan qui ignore à la fois sa rudesse et la beauté âpre de sa langue. En phrases courtes et qui claquent. Qui s’interrompent parfois en plein milieu. Pour mieux reprendre à la suite. Pas vraiment de dialogues, mais en fait, si, quand même, dans le texte, comme ça, au milieu, tu te rends compte, mon bon scribouillard, c’est que ça te fait des paragraphes et des chapitres qui se suivent sans que tu voies un seul tiret cadratin, un seul retour de page. Parce que, oui, les chapitres se suivent les uns les autres, juste un numéro devant la première lettre de la première phrase du paragraphe qui suit. C’est tout, comme ça, rien de plus. sobre et déstabilisant.

C’est court, 220 pages. Noir. Flamand. Belge. On est loin de la lecture accrocheuse d’un Colize ou d’un Abel, Calcaire se lit comme on boit un peket, à petites lapées, en prenant son temps, pour mieux en apprécier la poésie et les coquetteries parfois très crues.

Ca te bouscule et te remue là-dedans et lorsqu’enfin tu finis par sortir le nez du trou, tu ressens comme si tes poumons s’ouvraient pour la première fois. J’ai visité un Limbourg que je ne connaissais pas. J’en garde une curiosité pour ces galeries qui ont inspiré un univers aussi intense.

Calcaire, Caroline De Mulder, chez Actes Sud

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