5ème round sur le Ring (Est)

Un jour je m’ferai cul-de-jatte ou bonne sœur ou pendu
Enfin un d’ces machins où je n’serai jamais plus
Le suivant, le suivant

J’ai toujours aimé cette chanson de Brel. Si j’avais su qu’un jour je la grincerais entre mes dents en relisant mon manuscrit…

Ca va faire un bout de temps, maintenant, que j’ai laissé tomber ma vipère, trop occupée à serrer les vis et huiler les rouages des aventures d’Aubry dans Ring Est. J’y reviendrai vers la mi-octobre, avais-je promis, pleine d’assurance.

Naïve que je suis !

Mi-octobre est venu et passé, novembre a pointé le bout de son nez et voilà que décembre se faufile à la suite…et ma vipère patiente toujours !

C’est que, voyez-vous, même après que Stephen King lui-même m’ait prévenue (par le biais de son bouquin « On Writing – a memoir of the craft », hein, allez pas vous faire des idées, non plus), qu’il ait martelé et re-martelé l’importance du travail d’édition et décrit avec force détails le supplice qu’il représente pour l’auteur, je n’y croyais pas vraiment. Ce n’est pas que je doute de la parole de Stevie, loin de là, j’avais même enregistré religieusement tous les conseils du père King, bien décidée de les appliquer à la lettre ! Mais, voyez-vous, je suis d’un naturel optimiste. Parfois trop. Du coup, comme j’étais prête à entendre toutes les critiques et plier le texte à ce qu’il fallait pour en faire un vrai bouquin, j’étais aussi persuadée que le processus irait plus vite. Souviens-toi : J’en aurai fini dans quelques semaines, t’avais-je dit…

Tu parles !

Officiellement, je suis repassée cinq fois sur le texte. Officieusement, tu peux multiplier par trois ou quatre. Oui, tu as bien lu…

D’abord, parce qu’à chaque round, tu lis le texte avec les commentaires de l’éditeur, ses suggestions, ses questions, ses critiques, ses conseils…et tu décides, en ton âme et conscience, ce qu’il convient d’en faire. Souvent, il a raison (un des trucs que tu apprendras très vite est que plus le commentaire te fait mal, plus il tombe juste. En gros, ton éditeur, c’est comme un super-moustique : il te pique là où il faut)

Ensuite, tu retravailles tout le texte en fonction des commentaires que tu as validé (Je n’ai pas compté le nombre de commentaires reçus, mais je peux te dire combien j’en ai refusé : un…et encore, c’était sur l’acception d’un mot dans une phrase. Un mot sur les presque 80000 qui compose le texte. On ne peut pas dire que j’ai fait preuve d’un grand sens de la rébellion éditoriale).

Enfin, tu relis le tout après avoir fait tes corrections. Si t’as pas de bol, c’est là que tu découvres un truc en plus à corriger et t’es repartie pour un tour. Puis, tu envoies à l’éditeur et tu attends le round suivant.

Ben oui, parce qu’éditer un bouquin, c’est un peu comme bouffer un artichaut. Les feuilles, c’est pas mauvais, mais ce que tu veux, c’est le coeur…et pour y arriver, ben, tu dois te farcir l’effeuillage complet. Sauf que sur un artichaut, tu vois le travail qu’il te reste à accomplir. Un bouquin, non. A chaque round, tu penses que c’est le dernier et que, cette fois-ci, ça y est, tu y es arrivée, tu l’as bien dévoilé, ce fameux coeur.

Mais voilà, souvent, il te faudra plusieurs itérations. Parce qu’en fait, ce qu’il se passe, c’est qu’on travaille d’abord sur les grosses erreurs et qu’une fois qu’elles sont réglées, d’autres soucis te sautent aux yeux. J’ai posé la question à quelques auteurs et autrices reconnus comme Barbara Abel, Paul Colize ou Caroline De Mulder (qui, en plus d’être écrivaine, est chargée de cours de littérature à l’université de Namur). Ils m’ont tous confirmé l’affreuse vérité : c’est normal. Caroline de Mulder m’a même confiée être passée par 4 ou 5 cycles de retravail, dont un de ré-écriture complet, avant de livrer son petit dernier, « Calcaire » (chez Actes Sud, je t’en fais bientôt la critique).

Ca réconforte, certes, mais tu finiras quand même par ne plus vouloir voir ton texte en peinture. Peu importe la tendresse que tu éprouves pour tes personnages, à force d’avoir les yeux et la plume braqués dessus, tu n’as plus qu’une envie, c’est qu’ils la finissent, cette putain d’histoire et qu’on te laisse enfin tourner la page. Littéralement. De préférence, celle où il est marqué « achevé d’imprimer en … » avec le numéro ISBN derrière.

Cela dit, tu ressortiras grandie de l’expérience. Parce que tu auras appris plein de choses. Sur toi, sur ton écriture, ton style, tes faiblesses, tes erreurs. A titre indicatif, j’ai découvert que :

  • J’ai des « expressions fétiches » dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Le jury m’avait bien chambrée avec mon utilisation toute personnelle du verbe « virguler », mais ils n’avaient pas vu les nombreux « devoir la jouer fine », « réprimer un mouvement de surprise », « inspirer une longue goulée d’air ». Verdict : élimination sans pitié.
  • Je suis une aficionado des mots ternes : faire, chose, être, avoir, etc. De nouveau, coupe sombre et peaufinage du texte.
  • J’utilise bien trop souvent le participe présent. Or, cette saleté, comme son petit copain vicieux, l’adverbe, alourdit le texte à mort. Un exemple : « il ouvrit la porte et, la voyant sur le seuil, se pencha pour l’embrasser ». ça t’a l’air correct ? essaie ça : « il ouvrit la porte, la vit sur le seuil et se pencha pour l’embrasser »…c’est tout de suite plus nerveux, non ? plus vivant, hein…J’en ai laissé certains, pour la plupart des gérondifs, faute de mieux, mais sinon, ça a été razzia complète. Un génocide du participe.
  • J’adore me répéter. Un peu comme une vieille qui radote. Je te fais une phrase, puis sa copine à peine nuancée et, hop, j’en rajoute une couche avec une petite dernière qui n’apporte rien de plus. Un exercice de style intéressant, quand il est employé avec parcimonie. Mais là, c’était vraiment ad nauseam…allez, hop, dégagées les triplettes inutiles !

Au final, j’ai élagué 15% du texte de départ…de 540.000 signes à 460.000…

Cela dit, je vais peut-être encore un peu vite en besogne…j’ai envoyé la version 1.4  aujourd’hui. Xavier (aka supermoustique), mon éditeur, me reviendra dans les prochains jours…serai-je bonne pour un sixième tour de manège ? Si d’ici fin de semaine tu ne vois pas arriver de nouvelles aventures de ma vipère ou du GSN, tu seras fixée sur le verdict…

Croise les doigts pour moi.

J’adore mon Ring Est, mais j’en ai marre de ces rounds*

* round, ring, comment elle maîtrise trop les jeux de mots, cette Scribouillasse !

 

21 commentaires sur “5ème round sur le Ring (Est)

  1. Doigts des mains et des pieds croisés. Solidarité 🙂
    J’aimais bien ton virguler drôle et imagé, j’espère qu’il en restera quand même un peu et que le texte final te ressemblera encore.
    Bon courage et pas de souci pour Margaux, si attachante que je pourrais en reprendre la lecture là où tu l’as laissée sans « résumé des épisodes précédents ».

    1. j’ai éliminé tous les virguler dans Ring Est (trop is te veel, comme on dit par ici…trop c’est trop, ça m’avait donné la nausée à moi aussi lol) …par contre, ils resteront dans la Vipère ^^

  2. Pense à Flaubert le forçat de l’écriture qui travaillait 16h/jour sur une seule page et disait qu’il fallait travailler un roman jusqu’à le vomir…
    Voilà c’était ma minute moralisatrice et.. indigeste:) 🙂 🙂

    1. C’est qu’il avait raison, le Gus…mais quand même, l’espoir fait vivre et du coup, on garde nos doigts et orteils bien serrés pour que je n’ai plus jamais à ouvrir le bouquin…que pour le dédicacer 😉

      1. Si, si, je suis bien passé !
        Problème de mémoire en ce passage en 2018 !

    1. Non, un coup d’éducation perso 🙂 Autrice était utilisé avant que des barbons décident de masculiniser tout. Du coup, c’est un juste retour des choses et pas une réclamation insensée

  3. Excellent ! L’éditeur en super-moustique qui pique les cœurs d’artichaut… Comme Almanito, j’espère qu’on retrouvera ton style si vivant !!! Bizzz

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