Le Géant Timide

On a tous autour de soi au moins un ami, un cousin, un oncle, une connaissance, voire le petit-fils-de-l’épicier-de-ma-grand-mère, qui, à la surprise et émerveillement général, a opéré un changement radical de mode de vie ou de carrière. En général qualifiés d’originaux, ces oiseaux rares ont, pour la plupart ré-ouvert en grand le tiroir où ils avaient enfoui leurs rêves, jugés à l’époque trop farfelus ou trop risqués, pour repartir de plus belle à leur conquête. Pas sur un coup de tête, non, mais par décision mûrement réfléchie, partagée et soutenue par le conjoint (s’il y en a), ces pionniers des temps modernes sortent alors des sentiers bien balisés et s’aventurent dans ce nouveau parcours, prêts à débusquer leur bonne fortune où qu’elle se trouve et quel qu’en soit le prix. Du jour au lendemain, ils abandonnent costumes et tailleurs corporate et deviennent hôteliers, peintres, sculpteurs, reprennent leurs études, adoptent un enfant, ouvrent un stand de gaufres belges à New York, ou une école au Mali, se lancent dans la comédie, le spectacle, les tartes…

 Les réactions autour d’eux ne se font pas attendre. Il y a les supporters de la première heure, ceux pour qui oser est déjà une victoire et qui dansent le haka à chaque étape, positifs et enthousiastes jusqu’au bout des ongles, faisant le plein de Force Potok (pour ceux qui ont lu les succulentes BD de Dupuy & Berberian, ils savent que c’est la force ultime positive…pour les autres, allez de ce pas vous renseigner par là : Monsieur Jean ). T’as décidé de partir en tour du monde en trottinette ? mais c’est trop la classe, ça ! attends, mais c’est génial, quoi ! tu vas vivre des trucs insensés, là-bas ! Moi, franchement, je t’envie ! Fonce !

Puis, il y a les inquiets. Ils trouvent ça vachement cool, d’avoir osé se lancer, comme ça, sans aucune qualification ni autre forme de procès, dans un business de food-truck événementiel, mais, justement, est-ce qu’il n’y a pas trop de risques ? Je veux dire, c’est une bonne idée, hein, ton food-truck  » Le Jet d’ail », c’est plutôt sympa, ça se retient, et ton idée de patate fourrée R2D2, c’est amusant, mais…est-ce que tu as bien pensé ton business plan ? Et tu es sûr que tu as bien toutes les autorisations ? Non, parce que, je veux dire, tu comprends, quoi, si c’était si simple, tout le monde le ferait et puis, quand même, si ça se plante, tu perds tout…

 Viennent alors les critiques. Ceux qui auraient fait mieux, poussé plus fort, visé plus haut. Mais, euh, attends, là, si c’est pour te lancer dans une carrière cinéma, pourquoi tu ne vas pas sur Paris ? parce que, bon, je dis ça, je dis rien, mais c’est quand même là-bas que tout se passe, hein. Bruxelles, ok, ça bouge un peu, c’est vrai, mais les grosses productions, les trucs où tu vas exploser la baraque, c’est la-bas qu’il faut aller les chercher. Faut pas se voiler la face, hein, on a des talents, c’est sûr, mais c’est pas comme si on accouchait tous les ans d’un « C’est arrivé près de chez vous ». Paris, la ville-lumière, c’est autre chose, tu comprends. Quoique, en fait, laisse même tomber Paris. Tu parles Anglais, non ? ben, déménage aux Etats-Unis, va conquérir Hollywood ! Si JCVD l’a fait, franchement, tu peux y arriver aussi ! Moi, sérieux, à ta place, j’hésiterais pas une seconde.

 Enfin, il y a les râleurs, les jaloux, les sceptiques. Pour eux, c’est bien simple, toutes ces histoires de nouveau départ, de changement de vie, c’est des conneries. Non, mais regarde-le, l’autre, là, avec ses petites toiles et ses tubes de gouaches. Tu crois que ça va lui durer combien de temps, son délire à la Van Gogh ? Et puis, c’est pas comme si son cirque n’avait pas d’impact sur les autres, hein. Il a une femme et trois gosses, le gugusse, et il va les nourrir avec quoi ? des natures mortes ? Encore un peu, on dirait qu’il nous fait la crise d’adolescence de son gamin. Non, mais je comprends, on a tous eu des rêves de gosses, ok, mais au bout d’un moment, tu mords sur ta chique et puis tu avances. Tiens, moi, par exemple. Franchement, t’as déjà vu un gamin qui te dis « plus tard, je serai Risk Manager  » ?! Non, bien sûr. Moi, je voulais être fleuriste. Rigole pas, je te jure que c’est vrai. Mais bon, des fleuristes, y’en a à tous les coins de rues et on peut pas dire que ça rapporte du pognon. En plus, je suis allergique au pollen, alors tu imagines….du coup, quand j’en ai discuté avec mes parents, mon père m’a dit de choisir des études pour avoir un vrai travail, et c’est ce que j’ai fait. Et tu sais quoi ? je ne me sens pas plus frustré que ça !

 Bien sûr, ce ne sont pas les seules réactions possibles. Il y a aussi les silencieux, dont on ne sait s’ils approuvent, condamnent, s’en foutent ou n’ont tout simplement pas écouté ce qu’on leur disait.  Les baba cools, qui disent oui à tout, soutiennent tout et, si ça se casse la gueule, haussent les épaules et t’offrent un joint. Les scientifiques, qui ne vont juger de rien, mais tout observer, sans intervenir (pas de conseil, ça risquerait de fausser les mesures !). Les fatalistes de tout poil pour qui tes rêves se réaliseront…si le grand barbu, ou le hasard, ou les runes, ou les entrailles de poulet, ou le cours de la bourse le décident. Tu n’as juste pas voix au chapitre. Ceux atteints de grognite aiguë, qui ne sont jamais d’accord, sans argument, juste parce que…ben…ils ne sont jamais d’accord, voilà, point barre. Oui, mais tu penses quoi de mon idée ? J’aime pas ! Ah, tu préfères ma situation actuelle…J’aime pas non plus ! Y’a ceux qui voient-tout-en-noir-puis-qui-s’étonnent-qu’on-abandonne-l’idée, ceux qui te font du chantage affectif, ceux qui s’en foutent, ceux qui ne pensent rien, ceux qui ricanent, ceux qui roulent de gros yeux, ceux qui ont justement un projet dont ils veulent te parler…et qui oublient le tien. J’en passe…

 Quelle que soit la réaction obtenue, elle est le fruit de la sincérité et de la bonne volonté. Du moins, j’ose l’espérer venant de personnes que je considère comme proches (ou alors, c’est que je suis un piètre juge de caractère lorsqu’il s’agit de choisir ceux à qui je me confie). Mais avant tout, elle est le fruit de toutes leurs croyances, de toutes ces convictions ancrées en eux, soit par éducation (expérience indirecte), soit par vécu (expérience personnelle). Elles les définissent aussi précisément que les courbes et circonvolutions de leurs empreintes digitales. Elles déterminent leurs schémas de pensée et leurs processus de prise de décision, conditionnent leurs relations et interactions avec leurs contemporains (hommes et bêtes), influencent leur vision du monde et leur compréhension de l’univers. Elles sont la colonne de direction de ce drôle de véhicule qu’est, en fin de compte, l’être humain.

 On a tous les nôtres, les positives et les négatives. Elles sont nos ailes et les boulets qu’on traîne aux pieds. A la fois protectrices, réductrices, émancipatrices, elles nous poussent et nous retiennent tour à tour. Elles peuvent déplacer des montagnes ou faire de nous des géants effrayés par leur propre puissance, réfugiés, encagés au fond d’eux-même. Elles conditionnent nos addictions et cautionnent nos faiblesses. Elles fournissent des excuses à notre immobilité, notre inaction, notre stagnation. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, contente-toi de peu, la vie n’est pas un jeu, les hommes ne pleurent pas, ce n’est pas un boulot pour une femme, je n’ai jamais de chance, il faut faire des études pour réussir, je n’y arriverai jamais, je suis trop vieux, trop grand, trop gros, c’est ta carrière ou ta famille, pas les deux, on ne change pas, c’est dans la nature, pour vivre heureux, vivons cachés, l’argent (ou la réussite) détruit tout, il faut souffrir pour réussir, on n’a pas le droit à l’erreur, toutes ces certitudes sans preuves, ces préjugés, ces croyances établies qu’on ne questionne pas. Tous ces tabous invisibles…

 Et pourtant…pourtant, ces croyances ne sont pas immuables et on peut tous libérer le géant enchaîné au fond de nous, le faire sortir de l’ombre et lui ouvrir le chemin. Rejoindre les rangs des élus, de ces originaux qui ont décidé, un jour, de changer leur vie, de quelque manière que ce soit. Réveille la Force, Luke (bon, ok, c’est facile, mais après mon food-truck « Jet d’Ail », vous vous attendiez à quoi ?).

Avez-vous déjà entendu parler de la PNL, cette méthode de reprogrammation du cerveau ? Ben voilà, libérer le géant, c’est aussi simple que ça : il faut juste faire un petit nettoyage et réorganiser le bureau. Un peu à la manière des applis qu’on gère sur son smartphone. On dégage l’icône Clopetitude et on upgrade l’app Runtastic vers la nouvelle version : Runtastic Xtreme. Aussi vite que ça…

Hacker son cerveau…quelle drôle d’idée. Mais quelle bonne idée ! Avec de nouvelles croyances, de nouvelles certitudes, vient une volonté nouvelle, les griffes poussent, les crocs s’affirment et le tigre surgit là où hier encore se pelotonnait un chaton. Parce que la vie se vit et ne se subit pas, parce que tout ce qui compte c’est le voyage et l’expérience qu’il nous fournit, parce qu’au plus longtemps on attend, au plus on risque d’arriver au bout sans avoir vraiment commencé. O Capitaine, mon Capitaine…

Mais, en pratique, on fait comment pour choisir de nouvelles applis, upgrader les existantes et désinstaller les obsolètes ? Parce que, bon, aux dernières nouvelles, j’ai regardé, je ne suis pas équipée d’un bouton « paramètres »…

Pour ceux que ça intéresse, je conseille les livres de Tony Robbins ( Unlimited Power et Awaken the Giant Within, disponibles également en Français) pour commencer. Ils se lisent vite, bien, sont fourrés d’exemples pratiques et d’exercices.

Pour les autres, gardez-les en mémoire, si jamais un jour vous changiez d’avis et vouliez y jetez un coup d’oeil, au détour des étagères d’une librairie. Personnellement, il m’a fallu cinq ans avant de m’y mettre…au cas où, voici déjà un petit lien utile : Wikipedia

Pour ma part, mon géant roupillait bien profondément jusqu’à ce qu’une petite boule de poils d’à peine 2kg800 vienne le secouer du bout des coussinets…une histoire un peu triste que je vous raconterai dans un prochain article

catiger

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