Il est une croyance, très ancrée dans le coeur des auteurs francophones, que l’écriture est un art découlant d’un talent inné qui ne peut s’apprendre. A l’inverse, les anglophones, sans pour autant négliger l’influence que pourrait avoir l’une ou l’autre prédisposition, considèrent l’exercice comme accessible à tout un chacun, pourvu qu’on en maîtrise les règles et techniques. D’un côté le génie artistique, la transcendance littéraire, la muse toute-puissante, le je-ne-sais-quoi mystérieux et inexplicable du virtuose, de l’autre le savoir-faire, la science de l’artisan, l’application au travail et la constance dans la pratique. Les rivalités franco-anglaises se traduisent parfois dans des domaines insoupçonnés.
Bien entendu, les idées ont évolué et le vieux continent s’ouvre peu à peu à l’idée que l’écriture, tout comme la peinture ou la musique, répond à des codes somme toute pas si cryptiques ou impénétrables. Elle a ses notes et ses harmoniques, ses perspectives et points de fuite, elle se décline au couteau ou à l’aquarelle, selon les canevas, et se joue en La majeur ou Sol dièse, au violoncelle ou à la trompette. Elle a son jargon, ses maîtres, ses styles, ses époques et ses tutoriels. Dialogues, intrigues, techniques de narration. Catalyseur, suspense, climax. Prologue, logue, épilogue. Squelette, corps et proportions. Des dizaines de thèses et ouvrages de référence non plus sur l’analyse du contenu, des idées véhiculées par l’auteur, mais sur les moyens et artifices mis en oeuvre pour construire un tout uniforme et balancé. On se désintéresse enfin du (pour)quoi pour mettre le comment sous les projecteurs.
Cependant, ne vous méprenez pas, l’avertissement d’introduction est en gras, souligné trois fois. On ne voudrait pas alimenter des espoirs insensés. Car si une technique irréprochable peut faire d’un auteur passable un écrivain correct, elle ne transformera jamais un scribouillard médiocre en dramaturge. Quant au génie…et bien, il est au-delà du commun des mortels. N’est pas Shakespeare, Stendhal ou Austen qui veut. Ceux-là (et d’autres qui les ont succédé ou sont encore à venir) sortiront toujours du lot : indémodables, intemporels, ô combien actuels !
Ceci étant dit, et parce qu’il faut bien commencer quelque part, attrapons le taureau par les cornes et fonçons tête baissée sur l’un des plus gros morceaux : l’intrigue. Ben oui, ce serait quand même bien ballot d’avoir des dialogues du feu de Dieu et une maîtrise parfaite de la langue pour servir une intrigue aussi rebondissante que la croupe d’une vache sacrée de l’Indus. Là encore, les avis divergent. Entre les ténors du prêt-à-porter, les aficionados du bricolage et les inconditionnels de la joaillerie, on ne sait parfois plus où donner de la tête. Les uns défendent l’approche architecte, la planification de A jusque Z, les calculs savants, la symétrie et les proportions exactes; les autres ébauchent une ligne de conduite, quelques points de passage inévitables, un élément déclencheur, trois actes, un climax, un épilogue, et vogue la galère ! Certains vont même jusqu’à pousser l’anarchie dans ses derniers retranchements et taillent à vue de pif, c’est parti, mon kiki, on ne sait pas où on va, mais on y va quand même !
Alors, c’est quoi, la bonne marche à suivre ? Excellente question, matelot, mais tu risques de ne pas aimer la réponse. Parce qu’en fait…il n’y a pas de bonne ou mauvaise procédure. Toutes se valent et la prévalence de l’une ou l’autre dépend en réalité des préférences personnelles de l’auteur concerné. Sa nature. Son tempérament. Du coup, la vraie bonne question à se poser, c’est : Quelle est la méthode qui vous correspond ?
Quoi de mieux qu’un petit test pour le savoir ? répondez aux dix questions ci-dessous, calculez votre score et avancez jusqu’aux résultats
1. Si vous étiez un héros du petit (ou grand) écran, vous seriez :
A. John McLane, dans Die Hard
B. Colt Seavers, dans l’Homme qui tombe à pic (The Fall Guy)
C. Pr Alan Grant, dans Jurassic Park
D. Cortex, de Minus et Cortex (Pinky & The Brain)
2. Parmi ces fleurs, lesquelles choisiriez-vous ?
A. Un plant de drosera chez votre pépiniériste
B. Une douzaine de roses chez le fleuriste
C. Une brassée de fleurs sauvages cueillies au gré d’une promenade
D. Un ikebana
3. A la question « Qu’est-ce qu’on fait, vendredi soir ? », que répondez-vous ?
A. Soirée blind-date dans un restaurant plongé dans le noir
B. Refaire le monde avec vos meilleurs amis autour d’un bon verre
C. Expérimenter le dernier bar/boîte de nuit à thème de la ville
D. Un chèque bongo « un soir à Londres* » (*peut être remplacé par Bruxelles, Amsterdam, Paris, ou autre ville au choix)
4. La cuisine et vous, c’est plutôt :
A. La spécialité du jour chez votre traiteur
B. Un petit plat concocté maison
C. Une improvisation sur vos fonds de buffet
D. Un bon gueuleton au restaurant
5. Votre style vestimentaire, c’est :
A. Dary – leggings super-héros, corsets à dentelle, chemises flashy et Doc Martens fantaisie
B. Streetwear – jean, pull et baskets
C. Safari – pantalon baggy, chemise kaki, caterpillars bout ferré
D. City – costume trois-pièces et chaussures en cuir pleine fleur / tailleur ajusté et manolo blahnik
6. Votre royaume pour ce livre :
A. Catch-22, de Joseph Heller
B. Le maître du haut-château, de Philip K. Dick
C. L’orage approche, de W. Churchill
D. Ender’s Game, de Orson Scott Card
7. La vie, ça se vit :
A. A cent à l’heure, comme si chaque jour était le dernier
B. De projets en aventures
C. Jour après jour, au gré de chaque moment
D. Études, boulot, réussite, famille, enfants, objectifs
8. Deux semaines de vacances à prendre :
A. Sac-à-dos et last minute à l’aéroport
B. Gîte / Airbnb et voiture de location
C. Randonnée Terres d’Aventure
D. Circuit-croisière dans les îles Grecques
9. Parmi ces choix, celui qui vous énerve le plus :
A. Devoir porter un gilet de sauvetage pour faire du kayak sur un lac immobile
B. Recevoir un set « Paint by Numbers » de Ravensburger
C. Lire par inadvertance la solution d’une énigme en cours
D. La pile d’essuies roulés en boule fourrés dans le meuble de salle de bain
10. Si vous étiez une insulte
A. B*rd*l à qu*** de satan de mes cou*lles !
B. Colifichet !
C. Onûzel !
D. Orchidoclaste !
Vous avez obtenu un maximum de A ? Vous êtes Michel-Ange
A l’instar du maître de la Renaissance qui se targuait de libérer la forme humaine piégée à l’intérieur du bloc de marbre, vous ne vous encombrez d’aucune fioritures. Vous savez exactement ce que vous voulez faire et, tant qu’à faire, autant tailler tout de go dans la matière. Votre intrigue, vous la voyez, elle est là, dans les pages, autant l’écrire tout de suite. Allez, hop, fleur au fusil et c’est parti la cavalerie ! Mais attention, c’est un exercice plus périlleux qu’il n’y paraît et ne s’improvise pas sculpteur qui veut car, à tout moment, le ciseau peut tomber sur une nervure dans le marbre, une cassure, une faiblesse de la pierre et l’oeuvre tout entière s’en retrouve mutilée, Bonne à briser en morceaux. Il en est de même pour l’auteur qui, à force d’extraire son histoire au forceps…finit parfois par la décapiter tout à fait. Difficile ensuite de rafistoler la chose sans que ça ne finisse par ressembler au Kurgan de Highlander (1986 et j’en fais encore des cauchemars, c’est dire !).
Vous avez obtenu un maximum de B ? Vous êtes Auguste Rodin
Quoi ? encore un sculpteur ?! (pour les petits comiques qui s’amuseraient à lire chaque résultat). Et bien oui, et pas moins que le génial créateur de la Porte de l’Enfer, encore ! Comme lui, vous êtes prêt à vous amuser avec de la terre glaise et esquisser autant de figurines qu’il en faudra pour ensuite les arranger en un tout monumental, voire les reproduire à plus grande échelle, en bronze ou directement dans le marbre. Avant de vous attaquer à l’oeuvre de fond, vous esquissez les grandes lignes de l’intrigue, intercalez quelques personnages secondaires ébauchés sur un coin de table et agrémentez de quelques attaches qui créent les transitions nécessaires. Les détails seront laissés à la fécondité de votre imaginaire. Maintenant que vous avez un canevas clair, rien ne sera plus facile que de le remplir. Le souci, c’est qu’à force de n’avoir que des grandes lignes, on se retrouve souvent avec des personnages sans force et sans profondeur faisant les funambules sur un scénario en timbre-poste, à peine définis par des enjolivures sans queue ni tête qui n’apportent à l’histoire que le voile chamarré et les aplats rococo dont elles surchargent une intrigue autrement bien linéaire et sans caractère.
Vous avez obtenu un maximum de C ? Vous êtes Howard Carter
Comme le découvreur des tombes d’Hatchepsout, Thoutmôsis IV et Toutânkhamon, vous aimez partir à l’aventure là où votre instinct vous mène. Suivant les conseils de votre petit doigt, reniflant la bonne affaire avec un flair qui ferait frémir d’envie tous les cochons truffiers du Périgord, et doté d’une détermination sans égale, vous aimez vous planter devant une terre brûlée, en friche, d’apparence anodine, accompagné de vos pioches, pelles, bêches, truelles, pinceaux et tamis bien alignés par ordre de priorité, et creuser, creuser, creuser. Jusqu’à débusquer le trésor unique et précieux qui vous récompensera de tous vos efforts. Vous travaillez presque en écriture automatique, laissant la page vous guider dans l’histoire qui se créera sous vos doigts. Une fois saisi le fil de votre intrigue, vous le déroulez petit à petit, sans tenter de le plier à de quelconques contraintes autres que celles de l’univers dans lequel il évolue. Vous suivez le terrain, en somme, sans savoir jusqu’où il vous mènera et découvrant chaque jour avec stupéfaction de nouvelles péripéties chez vos personnages. En réalité, vous êtes moins auteur que lecteur zéro. Mais prenez garde, votre instinct n’est pas infaillible et à force de creuser au hasard (ou presque), vous risquez de faire des petits trous partout sans rien trouver d’autre que votre propre frustration.
Vous avez obtenu un maximum de D ? Vous êtes André Le Nôtre
La seule différence entre le célèbre jardinier de Louis XIV et vous, c’est qu’il est juste né trois cents ans plus tôt que vous. C’est tout. A part ça, les jardins de Versailles, vous auriez pu les penser aussi. Vous adorez ce qui est préparé avec soin, pensé, réfléchi, planifié, testé, calculé et soigné aux petits oignons. On pré-découpe l’histoire, on prépare les moments charnières, les parts de suspense, on décide de ce qui va arriver, quand, à qui et comment. En bref, on déroule un plan de projet avec un cahier de charges complet et il ne reste plus qu’à dérouler l’histoire. Pas de surprises, pas de risques. On évolue dans un paysage bien préparé, tracé au compas et à la règle et qui va mener exactement là où on veut arriver, ni un peu trop tôt, ni un peu trop tard. On connaît à l’avance le nombre de chapitres et on estime avec une marge d’erreur de dix pourcent (grand max) le nombre de mots et paragraphes total qu’il y aura dans le livre. A la limite, les critères pour l’imprimeur pourraient déjà partir avant qu’on ait tracé le premier mot de la première phrase. Un conseil : évitez d’en faire trop. A force de tout planifier dans les moindres détails, on en devient vite prévisible, la créativité étant emprisonnée dans le cadre trop précis d’une intrigue pré-mâchée et puis, ce serait quand même bien bête d’être déjà lassé de votre histoire avant même d’avoir écrit le titre
Ah ah ! Trop fort cet article ! Juste et décapant… j’adooore !
Ravie que ça t’ait plu 🙂 et dans tes poésies, tu es plutôt quel style ? Michelange, Rodin, Carter ou Le Nôtre ?
Carter… C’est grave docteur ???
Du tout, je suis une pure Carter aussi ! Bienvenue, camarade ! :p