L’Auteur et sa Dominacritix

— Alors, tu as lu ? tu en as pensé quoi ?

Cette phrase, combien de fois ne l’ai-je pas posée. A mes amis, mon chéri, ma famille, tout qui m’avait un jour déclaré, plein de flamme et d’enthousiasme, « oh ben, t’écris un truc ? faudra me le faire lire, hein ! » et que j’avais pris au mot. Sitôt dit, sitôt fait (enfin, sitôt…le temps de finir d’écrire le bazar, ce qui peut créer un différentiel spatio-temporel non-négligeable que je réduis ici à une généreuse ellipse), mes petits mots s’en vont à la vitesse de ma connexion Internet jusqu’à leurs destinataires, non sans que ma main n’ait tremblé une dernière fois avant de cliquer sur ce satané bouton d’envoi, couperet de ma tranquillité.

Car c’est maintenant que l’attente commence. Insoutenable, inexorable, impossible et plus stressante que l’attente des résultats d’une prise de sang après un one-night-stand malheureux. Un vide pesant s’installe au fond de mes entrailles, les tourne et les retourne et les transforme en une goulash infâme et informe qui m’empêcherait presque de manger, de dormir, voire tout simplement vivre.  Je me ronge les ongles, les doigts, les os et me grignote peu à peu les extrémités, le cerveau tournant plein pot pour estimer le moment où le premier commentaire viendra frapper à la porte de mon inbox. C’est à peine exagéré. Car ce que mon gentil entourage, plein de bonne volonté et de tendresse à mon égard, n’a pas réalisé, c’est qu’en leur livrant mon ouvrage (oui, je n’oserais qualifier mes écrits d’oeuvre), j’attends d’eux qu’ils me reviennent le plus vite possible avec une critique sinon circonstanciée, du moins sincère de l’histoire dont je les ai rendus dépositaires.

Or, savez-vous ce qu’il se passe, la plupart du temps ?

Rien. Nada. Schnoll. Que dalle. Le trafic sur mon inbox est si intense que je vois presque des virevoltants (un peu de culture western ne nuit à personne) virtuels traverser mon écran sous un vieux air d’harmonica tristoune et l’électrocardiogramme de feu mon arrière-grand-père a plus de rythme que l’activité de mon smartphone. Bref, la loose. A ce stade, je ne vois que deux choix possibles : ou mes lecteurs ont contracté un Alzheimer aussi fulgurant que sélectif et ont tout oublié de mon livre, ou ils se sont fait cambrioler et le malotru a emmené mon manuscrit dans ses bagages…puis ils ont attrapé Alzheimer et ont oublié de m’en parler. De toute façon, le bouquin devait vraiment être pourri puisque même le vilain voleur ne m’a pas envoyé de commentaire alors que mes coordonnées sont en couverture de la chose. Double loose.

Il me faudra d’ordinaire quelques semaines pour que j’ose enfin poser la question qui me taraude. A l’exception de mon homme qui, n’ayant aucun recours possible, retranché dans son bureau, a subi depuis la remise du précieux document le pop-up de ma bouille languissante toutes les trois minutes jusqu’à perdre patience et m’interdire tout à fait l’accès à son antre….pour la retrouver inchangée (la bouille, pas l’antre) au repas du soir. Contraint et forcé, il finira par me lâcher un maigre commentaire du bout des lèvres (je le soupçonne depuis de se créer une réserve de bouffe à l’étage) qui me laissera insatisfaite et avide de plus de détails. A cette seule exception, donc, les réponses seront toutes du même acabit :

— Ah ouais, sorry, j’ai oublié, mais bon, tu sais ce que c’est, hein, j’ai plein de boulot et pas vraiment la tête à ça pour le moment. Mais promis, dès que je trouve une minute de libre, je m’y plonge.

Bien sûr, comme ce sont mes amis, ou ma famille, je hoche la tête avec le sourire, oui je comprends, non ce n’est pas grave, tandis que je camisole à l’intérieur de moi-même mon alter ego blessé et trahi qui fulmine et écume. Lèvres pincées sur un sourire un peu forcé, je n’oserai pas redemander le manuscrit, qui finira sans doute oublié dans un coin ou resurgira six mois plus tard au détour d’une visite : « tiens, regarde ce que j’ai retrouvé en faisant le rangement. Je te le rends, j’ai pas eu le temps du tout de le lire, tu devrais le donner à quelqu’un d’autre ».

Cette scène-là, cette expérience dérangeante, tout scribouillard en herbe est susceptible de la vivre. En silence, dans son coin, sans oser trop la ramener. Alors j’aimerais ici attirer l’attention de tous ceux qui s’engagent, un jour, sur un coup de tête, comme ça, pour faire plaisir, à relire les écrits d’un de leurs proches, sur trois choses essentielles  :

  1. D’abord…Oui, on sait ce qu’est la vie, le manque de temps, tout ça. On a jonglé avec pendant les mois, voire les années que nous a coûté l’écriture de notre livre, entre le boulot, les enfants, la maison, le mari malade, les parents qui râlent parce qu’ils ne nous voient pas assez souvent, les anniversaires des potes, ceux des gamins, les mariages, les vacances, la belle-famille qui gueule parce qu’elle ne nous voit pas assez souvent, les courses, les lessives, le jardin qui a décidé qu’il pousserait comme un dératé pendant qu’on a le dos tourné, comme ça, juste pour faire chier, le patron qui gueule parce qu’il ne nous voit pas assez souvent, les chats qui ont décidé qu’un d’entre eux allait s’étrangler avec une cordelette de sac poubelle égarée alors qu’on avait vraiment fait super-attention et qu’on doit conduire chez le véto en urgence en priant sa mère que « putain, me lâche pas, chouke ! » pendant que le fauve gollume dans sa cage….et malgré tout ça, on a réussi à tenir sur la longueur, on a couché plus de 350 pages de texte, une histoire à lire, extraite parfois au forceps, un véritable périple en plus de 90.000 mots, version traversée des Terres du Milieu où on a dû vaincre le Balrog de la Résistance et l’armée des gobelins de la page blanche au fond du gouffre du désespoir pour finir par jeter l’anneau de la victoire dans la lave du volcan de fin (en gueulant « Adrienne, j’ai gagné ! »…je vous jure, tentez, ça fout la pêche !).
  2. Ensuite….L’écriture, pour le scribouillard (stop, on ne va pas commencer, on est féministe, ok, mais la fluidité de lecture passe avant ! en plus, je ne me suis pas encore décidée si on allait dire scribouillarde ou scribouillasse…mon coeur balance), n’est pas un hobby. Même s’il n’ose vous l’avouer au grand jour, il est évident que s’il a décidé de sacrifier une bonne partie de son temps (pas toujours) libre, c’est parce qu’il caresse l’idée secrète de pouvoir un jour vivre de son art. Du coup, ce manuscrit, pour lui, c’est super important. Il ne rigole pas ! Il tient peut-être le prochain bestseller que les producteurs de Hollywood s’arracheront ! Peut-être même que Léo tiendra le rôle-titre et qu’on lui (au scribouillard, pas à Léo) demandera de devenir conseiller artistique sur le plateau ! Plus sérieusement, ce bouquin, c’est la première étape sur le parcours du reste de sa vie. Il l’a tour à tour chéri et détesté, traîné dans ses baskets en allant chercher les gosses à l’école, écrit et ré-écrit dans un coin de sa tête, se répétant les phrases pour ne pas les perdre. Des dizaines de fois, il s’est réveillé en pleine nuit saisi d’une idée de génie qui s’avérera aussi creuse que le dernier scénar des Avengers après le premier café du matin et passé des nuits blanches à écrire, récrire, raturer et finalement effacer ce paragraphe au chapitre 18. Ce bouquin, c’est une part de lui, son âme et son sang. Il veut qu’il réussisse, qu’il atteigne un lectorat, un vrai, au terme d’un chemin éditorial qui passera d’abord par vous, ses premiers lecteurs, ses meilleurs critiques, ses amis proches, les personnes en qui il a le plus confiance et qui le soutiendront, l’aideront et l’accompagneront dans cette nouvelle aventure où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus.
  3. Et enfin…Le scribouillard est une espèce qui a besoin du retour des autres pour grandir. Du retour, j’ai dit, pas de la reconnaissance (même si c’est bien aussi, remarquez).  Qu’il débute dans sa scribouillerie ou soit scribouillard averti, il est en quête perpétuelle d’amélioration. Pour ça, il a besoin de critiques, de commentaires, de feedbacks. Bien sûr, il trouvera ça chouette que vous vous répandiez en compliments, mais à moins d’être plus mégalo que le Trumpissime, il y a fort à parier qu’il ne vous croira pas. D’abord parce qu’il est, comme tous ceux de son espèce, affublé d’un aveuglement rare sur la qualité de son ouvrage. Ensuite, c’est un couillon qui manque de la plus basique confiance en lui. « Peuh ! pas mon/ma pote » vous dites-vous. Et bien si, lui/elle aussi. Réfléchissez-y bien : quelqu’un de fonceur comme ça, vous ne pensez pas qu’il ou elle se serait déjà jeté(e) depuis longtemps dans la fosse aux lions de l’édition si il/elle ne pissait pas dans son froc ? Relisez un peu le point 2, vous comprendrez. Oui, c’est si important que ça le terrifie. Que faire s’il se plante ? Ou pire, s’il réussit ? Le scribouillard a besoin de ce retour, de tous les retours. Bons, mauvais, constructifs de préférence. Tout ce qui pourra l’aider à identifier les points forts à renforcer, les piliers sur lesquels appuyer son histoire, et, surtout, surtout, toutes les faiblesses qui viennent bousiller le plaisir de lecture. Il a le nez dessus depuis si longtemps qu’il ne les voit plus. Il a besoin d’un regard extérieur, le vôtre, pour l’aider à avancer.  Il ne prendra mal aucune critique négative, loin de là, vous pouvez tout lui dire (oui, bon, enfin, soyons courtois quand même 🙂 ), tout lui faire savoir. Vous n’avez pas aimé ? pourquoi ? était-ce l’histoire, le style, les personnages ? il fera feu de tout bois pour raffiner son ouvrage. Le scribouillard, en bref, n’est pas cet animal mal léché et solitaire chez qui le talent est inné. Il a besoin de vous, son lecteur, pour s’améliorer et pour, un jour, pouvoir entrer dans sa chrysalide d’écriture et en ressortir écrivain aux ailes flamboyantes (c’est tout le mal qu’on lui souhaite).

Alors, si d’aventures (et pas seulement ici, mais commencez ici quand même 🙂 ), vous tombez sur des articles, des chapitres, des petits mots sur des blogs ou ailleurs…soyez sympa, laissez une petite trace de votre passage, un commentaire, un smiley, un « ouais, c’est drôle, mais c’est vachement long » , un « non, pas trop mon style, mais ça plaira peut-être à d’autres » ou un « je me suis vraiment bien marré, continue comme ça, je reviendrai »…n’importe quoi qui aidera l’auteur à vous raconter, toujours à sa façon, toujours avec authenticité, mais dans un format qui vous conviendra mieux, les histoires qui peuplent son quotidien.

Voilà, je pense que j’ai tout dit, mais je finirai quand même sur ceci : il n’est rien de plus précieux pour un scribouillard que son/ses lecteur(s), alors aux miens je voudrais dire merci, merci d’être là, de me soutenir, de supporter sans fléchir mes délires, mes histoires à la con, mes dialogues de Belge, mon langage souvent cru, toujours direct, le nonsense et la dérision qui surgissent à chaque détour de paragraphe, entre les chapitres et derrière mes personnages. J’espère qu’à travers mes petites histoires, vous ressentez tout l’amour que j’ai pour Bruxelles et mon petit pays à la langue bizarre et au peuple aussi bigarré que notre ciel est gris. Bref, lecteur de mon coeur, je t’aime.

Le mot de la fin sera pour Bill Gates :

« We all need people who give us feedback. That’s how we improve »*

 

 

*On a tous besoin de critiques. C’est ainsi qu’on avance

 

 

 

14 commentaires sur “L’Auteur et sa Dominacritix

  1. Chouette article ! Scribouillarde débutante (et oui…), j’ai trouvé un réalisme profond dans cette critique débordante d’humour ! Je partage !
    Merci…

  2. Wouwouhou ! Je suis hilare… à m’en tordre les boyaux !
    Quel bon moment ! Trop rare… Pas assez de scribouillards !!!
    Wow ! Merci Aramicia !

    Justesse des mots et humour corrosif qui attaque les neurones bien rangés… Je me reconnais 100% dans cette description à peine caricaturale…

    Naaan… mais y s’rendent pas compte, les félons !

    1. Je t’avoue que c’est aussi pour ça que j’ai créé le blog…me suis dit : tudju, ils répondent jamais, les zouaves ! m’en vais jeter mes écrits sur la toile, on sait jamais…et voilà 🙂

      1. Bien fait et je suis emballée par tes articles… SINCÈREMENT ! C’est excellent ! Il ne me reste plus qu’à attaquer « Comme un Nid de vipères dans un panier de crabes »… mais j’aime déjà ta plume fine et aiguisée…

  3. Je me reconnais parfaitement dans ce billet, même si j’ai mis bien longtemps à assumer l’écriture, comme un plaisir coupable, un vice honteux : en plus, la poésie ! Bref, le blog est en effet une bonne alternative pour s’exprimer et parfois avoir des retours (la preuve !).
    Belle & longue vie aux scribouillards en tous genres, et à vous en particulier !!!

    1. Un tout tout grand merci, Fabienne ! Assumons haut et fort notre scribouillerie un peu folle et sans prétention ! Je vais d’ailleurs de ce pas aller découvrir ton site !!

      1. partout ! Les souriards (j’ai appris récemment que c’était comme ça que nos amis canadiens disaient et je trouve ça bonhomme), ça met toujours de l’ambiance

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